N de réf. projet : IReSP-18-Hand9-31
Cette recherche a bénéficié de l’aide de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie
(CNSA), dans le cadre de l’appel à projets lancé par l’IReSP en 2018

Contexte :

Avec 150 000 traumatismes crâniens (TC) répertoriés annuellement en France (Bayen et al., 2012), autant d’accidents  vasculaires cérébraux (AVC), et près de 6 000 cancers cérébraux, les lésions cérébrales acquises sont décrites par l’OMS comme une « épidémie silencieuse » (Perroux et al. 2013). Elles représentent la première cause de mortalité et une cause majeure de handicap résiduel chez les enfants et les adultes (Quintard et al., 2002). En effet, de nombreuses personnes ayant subi des lésions cérébrales (y compris légères) vivent avec des séquelles résiduelles, cognitives, affectives et limitatives, entraînant de la fatigue et affectant durablement, non seulement, leur récupération fonctionnelle, mais également leur fonctionnement social, leur qualité de vie et leur autonomie.

Malgré ce portrait épidémiologique, il existe peu d’études sur l’expérience des personnes ayant subi des lésions cérébrales et aucune qui adopterait une approche monographique, croisant ainsi le point de vue des principales personnes concernées, des proches aidant.e.s et des professionnel.le.s et intégrant un groupe témoin. En outre, en France, aucune étude ne permet de comparer les catégories socioprofessionnelles (CSP) face au risque des lésions cérébrales et la gestion du handicap qui va de pair.

Et pourtant, des travaux réalisés à l’étranger (Whitman et al., 1984) mettent en évidence une incidence et une mortalité beaucoup plus élevées dans les milieux défavorisés, concernés par ailleurs par un pronostic plus défavorable à court et long termes – à gravité égale. En parallèle, toutes les études convergent : « Les hommes sont plus touchés que les femmes sauf après 75 ans, [alors que] trois pics d’incidence liés à l’âge sont relevés : <5 ans, 15-24 ans et >75 ans » (Tazarourte et al., 2008 :142). Au-delà de la CSP, l’âge et le genre constitueraient donc deux autres facteurs de risque majeurs d’exposition aux lésions cérébrales. Mais là, aussi, rares sont les études sociologiques francophones (Darmon, 2021 ; Desjeux, 2021) qui permettent de rendre compte de ces facteurs de disparité, voire d’inégalités sociales de santé (ISS), alors que la perception différentielle du risque d’exposition aux lésions cérébrales, les interactions soignant.e.s/soigné.e.s et les représentations inhérentes au handicap restent sous-documentées (Apostolidis, Dany, 2014).


Objectifs :

Le présent programme de recherche s’est proposé d’explorer l’expérience du handicap chez les personnes ayant subi des lésions cérébrales, celle de leurs proches et des professionnel.le.s impliquées dans leur prise en charge, en documentant les besoins de compensation des personnes cérébro-lésées, ainsi que l’impact des lésions et des parcours de soins sur leur participation sociale et leur autonomie. Revisitée à l’aune de la notion de la déprise (Meidani et Cavalli, 2018), l’autonomie est ici définie comme un faisceau d’interdépendances, une entreprise collective négociée, toujours en devenir.

Plus spécifiquement ce projet a eu pour objectifs de : 1) saisir l’expérience et le processus d’autonomisation des personnes ayant subi des lésions cérébrales en identifiant les facteurs individuels et socio-environnementaux qui participent de leur évolution ; 2) décrire l’impact de cette expérience de handicap chez les proches aidant.e.s ; 3) explorer les pratiques et le point de vue des professionnel.le.s et des structures (hospitalières et associatives) impliquées dans leur soutien ; 4) participer à la constitution d’un réseau avec des acteurs du secteur sociosanitaire afin d’orienter leurs interventions de réadaptation pour favoriser la reprise des activités sociales, professionnelles… des personnes concernées ; 5) créer un outil de communication (film documentaire) afin d’accompagner la pratique des acteur.rices sociaux.les et associatif.ve.s, ainsi que le grand public.


Méthode :

L’équipe des chercheur.e.s s’est proposé de mettre en place un protocole d’enquête mixte, à la fois qualitatif et quantitatif. Pour le volet qualitatif et dans une perspective macro- et méso-sociologique, il s’est agi de faire un état de lieu des politiques publiques en lien avec le handicap et les dispositifs des soins hospitaliers, administratifs et associatifs afférents.

À un niveau micro-social, l’échantillon a été composé de 40 personnes ayant subi des lésions cérébrales légères, modérées ou sévères, âgées de plus de 18 ans au moment de l’enquête et considérés en parallèle dans le cadre des consultations de soins (N=40H d’observation), des activités associatives et/ou à domicile. Une comparaison avec un groupe témoin : 40 personnes concernées par un AVC a été également considérée. L’échantillon du corpus qualitatif comporte autant des proches aidant.e.s (N=40) et une vingtaine des professionnel.le.s impliqué.e.s dans leur prise en charge.

Pour le volet quantitatif, un échantillon de près de 300 personnes concernées par les lésions cérébrales a répondu aux mêmes critères d’inclusion et a été interrogé à travers un questionnaire inspiré du PAAC (Profil d’Autonomie pour Adultes Cérébrolésés), administré en face-à-face.


Perspectives :

L’ancrage interdisciplinaire de ce programme de recherche se retranscrit dans les partenariats déjà établis avec l’INSERM, l’AFTC et le CHU de Toulouse (axe prioritaire de recherche et de soin de la Fédération Hospitalo-Universitaire des Handicaps Cognitifs, Psychiques et Sensoriels, FHU HoPeS, qui fédère à la fois les clinicien.ne.s, les chercheur.e.s en sciences cognitives et en neuro-imagerie). Situé au carrefour des sciences humaines et sociales (sociologie, psychologie, philosophie, droit), le programme de recherche porte un regard nouveau sur les lésions cérébrales et, à la fois, il prend appui sur une dynamique internationale, élaborée à l’occasion d’anciennes collaborations avec le Canada, la Suisse et la Belgique.

Le projet propose la mise en place des dispositifs trans-médias innovants (film documentaire élaboré à partir des capsules d’interviews, site, conférences-débats, table ronde avec des professionnel.les et des patient.es-ressources) qui peuvent s’avérer particulièrement pertinents, d’autant que les questions d’empowerment susceptibles d’obtenir une meilleure efficacité des protocoles d’accompagnement semblent aujourd’hui une des pistes les plus prometteuses de l’action sanitaire.

À cela s’ajoute la plus-value d’une perspective englobante pour étudier les trajectoires du handicap et d’autonomie, ce qui est primordial pour comprendre les déterminants individuels et collectifs qui sous-tendent l’expérience des lésions cérébrales. Il s’agit alors de mieux saisir les besoins des personnes ayant subi de telles lésions dans leur vie quotidienne, ce qui permettra de mettre en place des actions pour atténuer réduire les difficultés et réduire les ISS (Lang et al., 2016) qui en résultent.